♦ Les unités régionales hospitalières d’accueil et de soins pour les sourds
Regional hospital units devoted to care and support for deaf people
Benoît Mongourdin (1), Alexis Karacostas (2) 
 (2015)
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Porte d’entrée dans le système de santé français pour les patients sourds, les unités régionales d’accueil et de soins pour les sourds (Urass) sont désormais au nombre de 18 en France 1. Implantées pour la plupart dans des CHU, leur mission est d’offrir aux patients sourds des soins de qualité équivalente à celle de la population générale et d’adapter leur parcours de soins. La surdité place les interlocuteurs, sourds ou entendants, en situation de handicap, et les difficultés sont partagées entre les interlocuteurs présents dans l’acte de communication 2. Ainsi, les médecins et autres soignants sont en grande difficulté face à des patients qu’ils ne comprennent pas et dont ils ne peuvent se faire comprendre.
C’est sous l’impulsion d’usagers sourds eux-mêmes, et particulièrement du groupe Sourds de l’association Aides, que fut créée, en 1995, la première structure de soins en langue des signes. L’épidémie de sida révélait alors l’exclusion criante, mortelle et jusqu’alors invisible des patients sourds des circuits de soins, d’information et de prévention mis progressivement en place pour la population générale 3,4. La première unité a été implantée dans un service de médecine interne de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Formée d’un médecin, d’une assistante sociale et d’une technicienne de laboratoire sourde (et donc autorisée, par dérogation, à exercer dans la fonction publique hospitalière), son succès a été immédiat. Les patients porteurs de pathologies très diverses y affluaient, mettant au grand jour la réalité de ce problème de santé publique invisible et non reconnu jusqu’alors : les sourds, en France, étaient peu ou mal soignés, et le système de santé inadapté.

 

Organisations des Urass

 

Les principes sur lesquels s’appuie l’organisation 5 de ces unités sont : 
– Le transfert de l’exigence linguistique : ce n’est plus aux patients de s’adapter à la langue des professionnels mais aux soignants d’utiliser la langue dans laquelle le patient est le plus à l’aise (français ou langue des signes). Ainsi, les médecins, secrétaires, psychologues et travailleurs sociaux de ces unités possèdent-ils un niveau certifié de langue des signes (au minimum niveau B2 du Cadre européen de référence des langues, acquis ou à acquérir, soit 350 heures de formation linguistique), afin que chacun soit en mesure d’exercer son métier, avec la même qualité, en langue des signes ou en français.
– Des équipes formées de professionnels sourds et entendants. Cette mixité est un gage d’amélioration des compétences linguistiques et de vigilance accrue des professionnels entendants en leur permettant d’acquérir les compétences visio-gestuelles et culturelles spécifiques qui leur manquent : par exemple, les réunions de service se déroulent en langue des signes. Une telle organisation bouleverse les représentations fondées sur des préjugés des professionnels et des patients (voir plus loin), créant un espace possible pour une véritable prise en compte de l’existence des patients à travers une communication adaptée.
– Le travail d’interprétation confié à des interprètes diplômés, titulaires d’un master II d’interprétation (Bac + 5), seule garantie d’une levée rigoureuse de l’obstacle linguistique et du respect d’un cadre déontologique sans équivoque.
– Des intermédiateurs sourds, indispensables au dispositif, aident à combler le hiatus culturel entre professionnels et patients. Titulaires de diplômes généralement sociaux, ils assurent l’adaptation des discours par la reformulation des questions et des explications lors des consultations médicales et améliorent la compréhension mutuelle, comme lorsque les patients présentent des déficiences associées ou des carences linguistiques. Véritables référents identitaires pour les patients comme pour les professionnels, ils peuvent également aider les patients sourds dans leurs démarches administratives.
 
Parcours de soins du patient sourd dans les Urass

 

Le patient est autonome pour prendre son rendez-vous par SMS, courriel ou fax. Son entourage peut utiliser le téléphone. Le patient est accueilli sur place par un ou plusieurs membres de l’équipe, qui le recevront dans la langue de son choix. Banale pour la population générale, la possibilité de rencontrer un médecin, un psychologue ou un travailleur social dans sa propre langue est inédite pour un patient sourd.
Si des consultations spécialisées, examens ou hospitalisations, sont nécessaires, les unités assurent la mise à disposition, sur l’intégralité du parcours de soins au sein du CHU, des moyens humains d’adaptation : un interprète diplômé et, si besoin, un intermédiateur, parfois un médecin ou une assistante sociale. Tout soignant, quel qu’il soit, peut ainsi exercer son métier normalement, sans être entravé par les questions de communication.
Ce dispositif permet aux patients sourds d’accéder aux droits élémentaires dont ils sont habituellement privés : confidentialité (la surdité ne rend plus obligatoire la présence d’un proche) et consentement éclairé (par une information adaptée, le patient est en mesure d’accepter ou de refuser les soins qui lui sont proposés). Le patient sourd devient ainsi acteur de son parcours de soins. Du point de vue des soignants, le dispositif optimise la prise en charge : réduction des erreurs diagnostiques, des durées d’hospitalisation et des examens « de couverture » inutiles, amélioration de l’observance, diminution de la iatrogénicité, possibilité d’éducation thérapeutique…
 
Représentations et erreurs professionnelles

 

Le chiffre de 5 millions de déficients auditifs 6 recouvre des réalités très diverses. La question n’est pas « Qu’entend le patient ? » mais « Dans quelle langue est-il le plus à l’aise ? ». Les sourds profonds de naissance, majoritairement locuteurs de langue des signes, représentent 80 000 à 100 000 personnes : ils ne se plaignent pas de leur surdité (1) mais sont en difficulté d’accès aux soins. Les personnes devenues sourdes ou malentendantes, quant à elles, sont plus nombreuses et rarement concernées par la langue des signes, mais les difficultés qu’elles expriment concernent avant tout la carence de lieux de prise en compte des souffrances et difficultés occasionnées par leurs troubles auditifs, largement minimisées ou ignorées par les professionnels 7.
Ainsi, les représentations des patients sourds qu’ont les professionnels entendants correspondent rarement à la réalité :
  • en France, 80% des sourds sont en difficulté avec le français écrit, dont l’utilisation donne lieu à de nombreux malentendus, potentiellement dramatiques (exemple : 3 comprimés après le repas = je prends 3 comprimés, et après, je prends le repas) et, selon la seule étude réalisée à titre officiel en France 8, 80% des sourds profonds sont illettrés ;
  • la lecture labiale permet au maximum de discriminer 1 mot sur 3, la suppléance mentale (2) assurant un complément de compréhension. De plus, elle n’est possible qu’en face à face et perd toute efficacité si plusieurs interlocuteurs sont en présence ;
  • le port d’appareils auditifs ne présume en rien de la capacité de percevoir la voix. Certains sourds profonds portent des appareils pour un meilleur repérage spatial, pour d’autres ils sont inutiles ;
  • la présence d’un tiers est faussement rassurante pour le patient comme pour le soignant. Outre les problèmes de confidentialité déjà signalés, l’interprétation est incertaine (95% des parents entendants d’enfants sourds ne connaissent pas la langue des signes et utilisent au mieux un code familial partiel).
Conclusion

 

Depuis la création de la première unité en 1995, près de 14 000 patients, soit environ 15% de la population sourde estimée, ont fait appel aux Urass pour leur parcours de soins généraux. Chaque année, sont réalisées plus de 20 000 consultations au sein des unités par les médecins signeurs, plus de 10 000 consultations spécialisées adaptées, plus de 8 000 entretiens psychologiques, plus de 100 00 entretiens médico-sociaux. Ces chiffres sont en constante augmentation : plus de 1 000 nouveaux patients par an font appel aux unités. À tout moment de leur parcours de soins, les patients accueillis peuvent librement choisir quelle langue doit être utilisée, et 95% d’entre eux souhaitent utiliser la langue des signes, quelles que soient leurs compétences en français.

 

Références

 

1 Qualité de la prise en charge des patients sourds en établissements de santé. [Internet]. Paris: Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes. http://www.sante.gouv.fr/qualite-de-la-prise-en-charge-des-usagers-dans-les-etablissements-de-sante-prise-en-charge-des-patients-sourds.html
2 Mottez B. Les Sourds existent-ils ? Textes réunis et présentés par Andrea Benvenuto. Paris: L’Harmattan; 2006. 388 p.
3 Dagron J. Sourds et soignants, deux mondes, une médecine. Paris: In Press; 1999. 170 p.
4 Dagron J. Perception du risque du sida et accès aux soins de la communauté sourde. Bilan de la partie “état des lieux” épidémiologique. Bull Epidémiol Hebd. 1996;(25):112-3. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=2697
5 Circulaire N° DHOS/E1/2007/163 du 20 avril 2007 relative aux missions, à l’organisation et au fonctionnement des unités d’accueil et de soins des patients sourds en langue des signes (LS). Paris: Ministère de la Santé et des Solidarités. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/circulaire_163_200407.pdf
6 Haeusler L, de Laval T, Millot C. Étude quantitative sur le handicap auditif à partir de l’enquête « Handicap-Santé ». Document de travail, Série Études et Recherche (Drees). 2014;(131). 156 p. http://www.drees.sante.gouv.fr/etude-quantitative-sur-le-handicap-auditif-a-partir-de-l,11341.html
7 Gillot D. Le Droit des sourds : 115 propositions : rapport au Premier ministre. Paris: La Documentation Française; 1998. 131 p.
8 Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. Le rapport à la santé des personnes sourdes, malentendantes ou ayant des troubles de l’audition : résultats d’une étude qualitative. Saint-Denis: Inpes; 2012. 110 p. http://www.inpes.sante.fr/lsf/pdf/rapport-a-la-sante-surdite-resultats-etude-qualitative.pdf
 
Mots-clés : Surdité | Sourds | Handicap auditif | Accès aux soins 
Keywords : Deafness | Deaf people | Hearing impairment | Access to healthcare

 

Pour citer cet article :
Mongourdin B, Karacostas A. Les unités régionales hospitalières d’accueil et de soins pour les sourds. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(42-43):798-800. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/42-43/2015_42-43_4.html

 

Contacts :
(1) BMongourdin@chu-grenoble.fr, Unité Rhône-Alpes d’accueil et de soins pour les sourds, CHU Grenoble, France
(2) alexis.karacostas@aphp.fr, Unité d’informations et de soins des sourds, AP-HP, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris, France