♦ Hommage à Cyril Courtin
(9 décembre 2011)
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J’ai rencontré Cyril Courtin pour la première fois dans les conférences de l’association GESTES. Cette association avait été créée pour promouvoir des recherches et des changements dans l’organisation des soins de santé mentale des sourds, alors totalement négligés. Cyril participait aussi souvent que possible à ces conférences mensuelles et ne manquait pas de s’excuser quand ses nombreuses activités le retenaient loin de Paris. Il a ainsi été de toutes les actions, colloques et échanges où l’on parlait de santé mentale, de psychologie, de psychiatrie et de sciences humaines au regard des sourds. Il a longtemps fait partie du Conseil d’administration de l’association GESTES, il a participé à l’organisation du troisième congrès international de l’ESMHD (la Société européenne de santé mentale et surdité) en décembre 1994 à l’UNESCO, il a fait partie du comité de rédaction de la revue Surdités où il lisait les articles proposés et nous communiquait ses réflexions critiques extrêmement nuancées. Il m’impressionnait beaucoup, par son grand humour qui l’aidait (et m’aidait du même fait) à prendre de la distance avec les horreurs de la vie mais aussi par sa grande rigueur, par les arguments qu’il développait et qui me paraissaient souvent à l’opposé des miens en ce que les miens cachaient mal des partis pris, des jugements à l’emporte-pièce et des colères. Ce qui ne veut pas dire que Cyril jouait au scientifique soi-disant neutre et au-dessus des débats idéologiques : il ne cachait pas ses convictions vis-à-vis de la langue des signes et des dégâts causés par les orientations oralistes mais il ne craignait pas d’aller au charbon pour analyser les idées ou les théories des uns et des autres pour en sonder la part de vérité. Il était d’ailleurs, dans notre groupe, le seul véritable psychologue chercheur, au sens de chercheur qui en avait le statut, que je connaissais à l’époque. Je me suis interrogé, sans relire sa bibliographie, quel écrit de Cyril m’avait laissé la trace la plus vive. M’est alors revenu à l’esprit un magnifique article qu’il avait publié en novembre 1996 dans le Bulletin de psychologie (tome L n° 427) «  Pour une relecture critique des travaux de Pierre Oléron sur les enfants sourds ». Cyril y épinglait les erreurs et les manques qui faussaient les analyses du psychologue Pierre Oléron, par exemple le fait de ne pas considérer comme essentielle, dans les études d’enfants sourds, la distinction entre ceux qui n’ont aucune langue et ceux qui pratiquent la langue de signes, ou bien de ne pas reconnaître à la langue des signes un statut de langue, ou encore de ne pas s’intéresser à la qualité des interactions, déterminantes dans le devenir de l’enfant sourd, entre l’enfant et ses parents. Ses analyses montraient une chose : c’est que, contrairement à ce qui était quotidiennement affirmé par les soi-disant savants, les inégalités constatées entre enfants sourds et enfants entendants relevaient de facteurs relationnels, environnementaux et développementaux et non d’une quelconque différence de principe. Partant de cette ferme conviction de l’égalité principielle de tous les enfants, Cyril entendait combattre, avec les armes de la science mais aussi avec la force de son engagement citoyen, tous les préjugés et fantasmes qu’on avait pu entretenir sur les sourds, leur langue et leur cognition. Depuis sa disparition, il nous reste des écrits qu’il faut lire et relire mais aussi le très vif désir de prolonger son œuvre grâce aux perspectives qu’il a tracées.
(Inédit, 9 décembre 2011)