Alexis Karacostas – Repères biographiques
BY Alexis Karacostas
mercredi avril 4, 2018 0 Comments
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Alexis Karacostas est psychiatre et praticien hospitalier honoraire. Il a coordonné depuis 2006 les activités de l’Unité d’Informations et de Soins des Sourds de l’hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris, l’une des dix-huit unités publiques qui fonctionnent actuellement en France, et a été le médecin référent du CRESAM, Centre national de ressources handicaps rares pour la surdicécité depuis 2005. Il a été le président de l’association GESTES (Groupe d’Études Spécialisé « Thérapies et Surdités ») et, de 2000 à 2006, celui de l’ESMHD (Société européenne de santé mentale et surdité). Il a coorganisé plusieurs manifestations dans les domaines de la culture, de l’histoire et de la santé des sourds : exposition Le pouvoir des signes (Paris, 1989), troisième congrès de l’ESMHD « Surdité et bien-être » (Paris, 1994), colloque « Sourds et santé – La médiation dans tous ses états » (Paris, 2015). Il a dirigé la revue « Surdités » de 1999 à 2006 et, de 2005 à 2017, codirigé le séminaire « Surdité et langue des signes : analyseurs politiques, philosophiques et sociolinguistiques » (EHESS, Paris).
(décembre 2018)
Entretien accordé à la revue Surdinord, 1995
Surdinord : Qui êtes-vous, Dr Alexis Karacostas ?
Né à Paris, j’ai 43 ans, je suis de nationalité française et grecque, je suis entendant, j’exerce le métier de psychiatre comme praticien hospitalier à temps partiel à l’hôpital psychiatrique d’Antony, dans les Hauts-de-Seine. Je suis aussi installé en cabinet libéral, dans le 13ème arrondissement de Paris et je participe une fois par semaine aux activités du CEBES (Centre d’Éducation Bilingue précoce pour Enfants Sourds), place de la République à Paris. Enfin, depuis presque deux ans, je suis président de l’association GESTES (Groupe d’Études Spécialisé « Thérapies et Surdités »).
Surdinord : Quelle a été votre formation ?
Une formation tout à fait classique: après mes études de médecine, j’ai poursuivi une spécialisation en psychiatrie et obtenu le concours de l’internat des hôpitaux psychiatriques, pour en arriver à la situation actuelle où je partage mon temps entre une activité privée et le service public, deux formes d’exercice différentes mais tout compte fait assez complémentaires. Ce qui est moins classique et qui a marqué mes études, c’est que je les ai entreprises juste après mai 1968, en une période où la contestation de la psychiatrie était le grand thème de mobilisation sociale : la défense des droits des patients, la lutte contre la triste réalité asilaire, le développement des soins hors des murs de l’hôpital étaient quotidiennement abordés dans les hôpitaux, dans les médias, dans les manifestations et les congrès, au théâtre, au cinéma ou dans les livres. Le philosophe Michel Foucault et le mouvement italien initié par Franco Basaglia et son équipe, pour ne citer qu’eux, avaient largement contribué à faire de la santé mentale un enjeu de contestation et de transformation sociales. Il m’a fallu une longue et douloureuse réflexion, j’ai dû longtemps chercher mes marques, avant de me décider à m’engager dans la psychiatrie sans tomber dans la « flic-iatrie » comme on la dénonçait à l’époque… C’était un mouvement exaltant qui m’a confronté d’entrée de jeu aux questions de la déviance, de la marginalité et de l’exclusion.
Surdinord : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser aux problèmes des sourds en psychiatrie ?
Les choses se sont faites en plusieurs étapes. Au départ, le passionné d’histoire de la psychiatrie que j’étais (pour les raisons que je viens d’exposer) devait rédiger une thèse de médecine, et le pur hasard m’a fait choisir de retracer l’extraordinaire histoire des dix premières années de l’Institut national de jeunes sourds de Paris au moment de la Révolution française. J’ai ainsi été amené à découvrir l’immense richesse du patrimoine historique et artistique de cet institut. Peu après avoir soutenu ma thèse, en 1982 j’ai été embauché dans ce même institut pour m’occuper de la préservation et de la mise en valeur des archives… une activité à temps très partiel (une journée par semaine), mais qui m’aérait l’esprit en me fournissant l’occasion de faire autre chose que du soin. Le bicentenaire de la Révolution française se profilait déjà et je commençais à glisser progressivement du classement de vieux papiers poussiéreux à la fréquentation d’êtres vivants, les sourds en l’occurrence, avec leur mode de vie, leur langue, leurs associations, les joies et les peines de leur situation présente. Et c’est ainsi que m’est venue l’idée de profiter de l’occasion du bicentenaire de la Révolution française pour promouvoir non seulement l’histoire de l’Institut national de jeunes sourds de Paris, mais aussi celle de la communauté sourde toute entière. Une aventure qui a duré trois ans et demi, et qui a débouché sur un feu d’artifice : l’exposition « Le Pouvoir des Signes » qui s’est tenue à la Chapelle de la Sorbonne, à Paris, en décembre 1989 et janvier 1990, et l’édition du catalogue correspondant, fruits de la collaboration acharnée et enthousiaste d’une équipe sans cesse grandissante de sourds et d’entendants. Pendant ce temps, j’apprenais que l’association GESTES était en train d’être créée…
Surdinord : Pourquoi avez-vous créé l’association GESTES et quels sont les buts de celle-ci ?
Je ne suis pas membre fondateur de l’association GESTES, j’étais trop occupé, au moment de sa création, par la préparation de l’exposition. Mais dès le printemps 1990, j’ai rejoint les membres du Conseil d’Administration pour commencer à travailler avec eux. J’ai ainsi fait converger deux axes, initialement séparés, de mon activité professionnelle. L’association GESTES est née d’un constat, celui de la méconnaissance générale de la souffrance psychologique des sourds et de la cruelle absence de soins psychiatriques qui lui soient adaptés. Des professionnels de la santé mentale s’en sont émus et ont décidé de réagir. Ils ont alors formulé quelques principes fondamentaux, une éthique de l’action de tout professionnel dans le champ de la surdité : les personnes sourdes doivent être considérées comme des sujets à part entière; les entendants, aussi savants soient-ils, ne sauraient parler en leur nom ou leur place; pour être adaptées, la démarche diagnostique et l’intervention soignante ne peuvent ignorer le fait qu’il existe une communauté de sourds parlant une langue, la langue des signes: la communication visuelle-gestuelle et le mode de vie des sourds sont ainsi des données incontournables pour toute prise en considération sérieuse de la souffrance psychologique des sourds ; enfin, si surdité et souffrance psychologique ne sont pas, par nature, assimilables l’une à l’autre (le sourd n’est pas un malade du seul fait qu’il est sourd, mais il peut présenter une souffrance psychologique), alors rien ne s’oppose (et même tout devrait concourir) à ce que des personnes sourdes puissent avoir accès au statut professionnel de soignants et collaborer, sur un pied d’égalité avec leurs partenaires entendants, aux soins de santé mentale.
Surdinord : Quelles sont les actions menées par l’association GESTES ?
GESTES organise depuis cinq ans des conférences mensuelles qui s’adressent à tous publics, sur le thème de la santé mentale et de la surdité. Ces conférences sont enregistrées sur cassettes vidéo et peuvent être louées comme documents de travail par les adhérents. L’association a aussi organisé une journée d’étude en 1989 et une formation pour professionnels sourds (avec enseignement et stages pratiques en institution). Elle publie un bulletin trimestriel gratuit mais réservé pour le moment aux adhérents, avec des articles originaux et des informations. Elle s’est aussi lancée dans l’édition des conférences (le premier volume est paru en décembre 1994, deux autres volumes devraient suivre cette année). Elle soutient les recherches de groupes de travail de professionnels de la santé mentale, elle a ainsi participé très activement au groupe de réflexion sur les implants cochléaires, animé par le Dr Jean Dagron, et a cosigné la saisine du Comité national d’éthique en 1994. Enfin, l’association est affiliée depuis sa création à la Société européenne de santé mentale et surdité (ESMHD), qui promeut et soutient les initiatives des professionnels de tous les pays d’Europe. Cette Société a confié à GESTES le soin d’organiser son troisième congrès international, qui a donc eu lieu à Paris en décembre dernier, à l’UNESCO, et qui a connu un grand succès : plus de trois cent participants venant de vingt-trois pays, dont une cinquantaine de professionnels sourds, des communications riches et variées, et, pour finir, l’intervention d’un représentant du Ministère de la Santé qui a reconnu que des discussions devraient s’ouvrir pour le développement d’institutions de soins adaptés aux sourds. Une tâche à laquelle nous avons déjà commencé à nous atteler…
Surdinord : Les responsables de GESTES sont-ils des sourds et des entendants ?
Créée il y a sept ans, l’association GESTES est en majorité une association d’entendants. Cela reflète une situation sociologique et historique. Mais il faut dire aussi que l’on trouve des professionnels sourds parmi les membres fondateurs, qu’aujourd’hui deux sourds sont membres du CA (qui en compte six), et que, dans leurs actions quotidiennes comme dans leurs orientations générales, les membres de GESTES estiment inconcevable que les sourds n’aient pas leur place dans l’association. Aussi pensons nous que la participation de plus en plus effective de professionnels sourds aux diverses activités de GESTES démontrera que nous ne nous en tenons pas qu’aux principes…
Surdinord : Quel est le type d’intervention des adultes sourds ? Quelle est leur formation ?
Nous avons toujours pris soin, dans notre travail, de distinguer la situation des sourds profonds de naissance, locuteurs de la langue des signes, de celle des devenus sourds ou malentendants s’exprimant oralement. Nous pensons qu’il ne faut surtout pas confondre ces deux mondes, mais en revanche nous faisons tout pour qu’ils s’acceptent mutuellement et acceptent de débattre entre eux, au moins dans le cadre de l’association (lors des conférences, par exemple). Nous sommes aussi conscients de la réalité sociologique des sourds d’aujourd’hui : les sourds gestualistes ne sont trop souvent pas encore vraiment bilingues et sont très rarement diplômés. En revanche, les devenus sourds ou malentendants, dont l’accès au français est plus aisé, ont plus souvent des diplômes, mais leur connaissance de la langue des signes et leur identité sourde sont mal assurées. Lorsque des professionnels sourds intègrent des équipes de santé mentale, il faut toujours tenir compte de ces réalités en évitant de les confondre. Les professionnels sourds participent de plus en plus aux activités soignantes, c’est un fait, même si de trop nombreuses équipes de santé mentale ne se préoccupent guère encore de les intégrer. Embauchés, ils ne peuvent bénéficier que d’une formation sur le tas ou de diverses sessions de formations permanentes. Les plus « soignants » d’entre eux (par rapport aux diplômes obtenus) sont les aides médico-psychologiques (A.M.P.), dont l’arrivée sur le marché du travail est récente. Le plus souvent, ils sont enseignants de LSF, techniciens de la communication, éducateurs, ce qui ne leur permet pas d’être reconnus à part entière, sur le plan du statut de soignant comme sur celui des salaires. Ce qui ne les empêche pas, sur place, d’acquérir des connaissances et un savoir-faire parfois formidables…
Surdinord : Dr Karacostas, le CSFCS (Centre social, formation et culture des sourds) est sur le point de signer une convention avec l’E.P.S.M. d’Armentières : les demandes venant de professionnels se sont faites plus nombreuses ces derniers temps. Ils sollicitent une aide à la communication. Déjà nous avons répondu en mettant en place des actions régulières et adaptées : accueil au CSFCS d’adultes sourds en difficulté psychique pour contacts avec d’autres sourds, réunions de synthèse pour action concertée avec les professionnels des E.P.S.M. et les personnes sourdes hospitalisées, accompagnement pour accès à l’autonomie… Nous voulons officialiser ce service et le rendre optimum. Dans ce but, l’une des responsables du CSFCS, Mme Morès, a participé au Congrès que vous avez organisé à Paris en décembre dernier. Avec l’association GESTES, êtes-vous partant pour nous aider ?
Je me réjouis vivement d’apprendre ce que vous venez de dire et je suis très sincèrement intéressé de venir vous rencontrer pour m’informer sur place de vos activités. A priori, vos actions et nos objectifs semblent aller dans le même sens, c’est pourquoi il me paraît de première importance que GESTES vienne s’informer auprès de vous et soutienne vos efforts, si vous le souhaitez bien évidemment, de toutes les façons que nous jugerons ensemble utiles. Les services que vous rendez me paraissent être ceux-là mêmes qu’il conviendrait de promouvoir partout en France, parce qu’ils comblent le fossé qui existe entre les professionnels au sens strict et les usagers. De telles initiatives sont à l’évidence porteuses d’avenir et les professionnels entendants, dans leur pratique avec les patients entendants, feraient bien de s’en inspirer… L’existence de tels services m’incite à penser qu’il serait capital que nous nous constituions, pour la France entière, un annuaire des professionnels et des institutions susceptibles de prendre valablement en charge des personnes sourdes en souffrance psychologique. Nous recevons presque quotidiennement, au siège de l’association, des demandes provenant de toutes régions, qui restent sans réponse faute de renseignements ou faute de praticiens en poste localement. Pour ceux qui voudraient s’en saisir, GESTES est le type même d’outil adéquat à cette fonction d’échanges, d’information, de mise en réseau des professionnels et éventuellement d’intermédiaire entre eux et les pouvoirs publics.
Surdinord remercie le Docteur Alexis Karacostas d’avoir aimablement répondu à cet entretien.
Propos recueillis par Christian Decaillon
(Entretien réalisé en 1994 et publié dans Surdinord, publication du Centre social, formation et culture des sourds, 104 rue de Solférino, 59800 Lille, numéro 13, avril 1995)